Il n'y a pas de réelle recette du succès. Certains parlent de la sélection des marques, de l’emplacement, de l’équipe. Chez Doux, la question ne s’est jamais posée. C’est une affaire de famille avant tout, pas un de ces « business case » tout droit sortii d’une école de management.
Il n’empêche, quitte à parler d’une affaire, c’est véritablement une... bonne affaire. Lorsque M. Doux père, Henri, 74 ans aujourd’hui, a rejoint un détaillant en 1965, il en a rapidement gravit les échelons, jusqu’à prendre le contrôle de l’enseigne qui l’avait embauché en tant qu’horloger. Progressivement, il a passé la main à son fils Richard, aujourd’hui capitaine du vaisseau familial.
CROISSANCE FULGURANTE
Avec lui, l’affaire de famille va se transformer en un réseau de premier plan. Le gène entrepreneurial est intact et même renforcé : Richard Doux et sa sœur vont ouvrir neuf boutiques en vingt ans. Lorsque tant d’autres peinent à passer le cap des trois ans d’existence, ils en ouvrent une tous les quatre ans, sans jamais tomber dans le classique piège de la boulimie commerciale.
Le secret ? D’abord, de ne pas avoir couvert le territoire de son nom. Aujourd’hui, la maison gère également des boutiques monomarques, comme Mauboussin ou Cartier. Diane, sœur de Richard, gère aujourd’hui la boutique de la première à Montpellier. Cette stratégie lui permet de renforcer son maillage et son attachement aux marques tout en répartissant les risques.
Ensuite, une savante alchimie tant géographique que commerciale. Richard Doux place ses pions dans ce Sud qu’il connaît si bien, et qui le connaît tout autant, mais pas seulement. A Courchevel, l’enseigne « Doux Joaillerie » éclaire les pistes – un bel hommage à la joaillerie de Diane, ouverte en 1990 sur 9 mètres carrés, passée moins de cinq ans plus tard à 140 mètres carrés !
À emplacement différent, recette différentes : Doux y touchera les touristes et établira un fonctionnement saisonnier. Courchevel s’impose rapidement comme le double inversé d’Avignon : une clientèle quasi exclusivement étrangère, un commerce totalement saisonnier, beaucoup de chiffres en peu de temps, des ventes certes non récurrentes mais de valeur.
NOTABLE EN SES TERRES
En Avignon, c’est tout l’inverse. 80 % de la clientèle est locale. Richard Doux ne peut faire 100 mètres sans être salué par un passant, un client. Ou un ami – l’homme lui-même ne fait plus nécessairement la différence envers ceux que la maison conseille depuis cinquante ans. En d’autres siècles, la famille Doux aurait été les notables du bourg. Rien n’a véritablement changé, sauf que Richard, au lieu de monter en calèche, aime à prendre sa Morgane ou son Alpine. Après tout, cela reste une question de...chevaux.
Cette passion mécanique est bien celle qui relie aujourd’hui les trois générations. Henri, le père, avoue volontiers son amour tant du guidon que du volant. Son fils Richard possède ses propres voitures de collection et court égulièrement en rallye, dont le Tour Auto, dont il s’apprête déjà disputer la prochaine manche. L’homme est récemment allé au bout de ses passions, en passant avec succès son brevet de pilote d’hélicoptère au printemps 2015. Et son propre fils, Thery, a déjà le virus en lui.
Ce monde de la course automobile n’est pas étranger à celui de l’horlogerie. Après tout, il s’agit du même univers, celui du gentle-man, qu’il soit « driver » ou collectionneur. Aujourd’hui, nombreuses sont les maisons à s’investir dans cette passion mécanique et Doux les représente pour la plupart.
UNE FAMILLE, QUARANTE MARQUES
Pourtant, il y a certaines marques que l’on ne verra pas en les murs de la famille. « Nous veillons à préserver une certaine cohérence »,souffle Richard Doux. « Nous proposons une quarantaine de maisons, mais sommes connus pour des incontournables comme Rolex, Cartier, Breitling, par exemple ». « Aujourd’hui, la distribution de ces marques a bien changé », poursuit son père. « De mon temps, un représentant sonnait à ma porte, déroulait ses marmottes et nous choisissions ensemble les modèles qu’il laissait bien souvent chez moi ».
Nostalgie ? Pas vraiment. Le monde du commerce horloger a changé, ses règles aussi, mais Doux a toujours su les comprendre, voire les anticiper. Le partenariat est essentiel à la pérennité des relations. « Lorsque nous avons ouvert Courchevel, c’était à l’invitation personnelle d’Alain-Dominique Perrin, patron de Cartier et l’un des membres du board du groupe Richemont », illustre Richard Doux. « Il m’a dit : “si tu vas à Courchevel, je te suis avec toutes les marques du groupes”. J’ai trouvé l’affaire et nous sommes toujours présents sur place, quinze ans plus tard ».
VRAIES QUESTIONS ET FAUX PROBLÈMES
En somme, le morose climat ambiant ne semble pas atteindre le fief Doux. Le problème des stocks ?« Les marques que nous vendons prennent pour la plupart de la valeur, même en stock, c’est un faux problème ». L’approvisionnement trainant de certaines pièces à complications ? « Nos collectionneurs avertis sont prêts à attendre pour obtenir la pièce qu’ils ont en vue ». Le développement à outrance des salons, des références ? « Il n’y a que le SIHH (Salon International de la Haute Horlogerie) et Baselworld. Le reste est très accessoire ».
La Foire de Bâle est d’ailleurs devenue un terrain de chasse familier pour la famille. « J’y suis allé pour la première fois au début des années 70 », sourit le père, Henri Doux. « A l’époque, c’était une foire au sens propre : on y vendait des casseroles, on y mangeait des frites. Je crois que cela a un petit peu changé... ».
DOUX COMMANDO
Chaque année, le clan Doux en arpente les allées. Cinq jours, cinq personnes : c’est un véritable commando organisé qui cible chaque marque avec la précision conférée par l’expérience. À boutiques différentes, besoins différents : « mon équipe revient parfois avec des pièces ahurissantes sur lesquelles je n’aurais pas investi un centime, mais chaque boutique a ses propres clients et je me dois d’écouter les recommandations de Courchevel ou Saint-Tropez », indique Richard Doux. Qui, au final, aura toujours le dernier mot. Même avec son père ? « Si je suis d’accord avec lui, alors nous sommes d’accord », glisse-t-il affectueusement. En 2015, Henri Doux a fermé sa porte, défiitivement. L’homme prend sa retraite, profite de son temps, de ses bolides. Son fils Richard n’a pas souhaité reprendre sa boutique, ayant déjà la sienne, devenue siège de l’entreprise, à quelques pas de là. Dans cette lignée d’entrepreneurs, on pourrait alors s’attendre à une ouverture vers l’international. « C’est une toute autre dimension », tempère Richard Doux. « A l’étranger, on change d’interlocuteurs. Ce n’est pas une simple adresse de plus en bas d’un catalogue, il faut repartir de zéro ».
ÉPILOGUE
Thery Doux, troisième génération, n’en est pas encore à envisager la succession ou le développement de l’entreprise familiale, mais a déjà fait ses armes. Trois ans au Canada, de solides études de commerce, une première affaire développée en maroquinerie : l’esprit d’entreprise est déjà là, palpable. Au sein des boutiques familiales, on sent déjà des habitudes, des réflexes, un sens inné du contact clients et du commerce. La transition se fera progressivement, mais elle se fera : c’est inscrit dans ses gènes.