Une modeste ferme, de grandes inventions. Lorsque l’on arrive aux abords de la « Ferme du Brassus », que tout le monde nomme ainsi en référence à la maison Blancpain, tout amateur d’horlogerie est frappé par la dimension historique qui peut s’échapper d’une bâtisse aux dimensions pourtant si mesurées. Dans la plus pure tradition horlogère de la région, il n’y a ici ni decorum ni affichage. La ferme Blancpain semble avoir toujours été là, adossée à la colline, entourée de sapin.
UNE LONGUE TRADITION DE DÉVELOPPEMENTS HORLOGERS
Dans cette maison entièrement rénovée se nichent aujourd’hui les ateliers des plus grandes complications de la manufacture Blancpain. En quelques mètres carrés se concentrent presque trois siècles de tradition horlogère et, surtout, d’innovations majeures. Peu le savent mais, au fil de son histoire, Blancpain a contribué à quelques-uns de plus importants développements horlogers. En 1815, par exemple, la maison généralisa des calibres utra-plats de type Lépine, c’est-à-dire un mouvement avec couronne à 12h et petite seconde alignée à 6h. Elle fut également l’une des premières à introduire l’échappement à ancre (encore utilisé de nos jours) ou à se concentrer sur la montre féminine. Paradoxalement, la famille Blancpain résista à une production pré industrielle. Celle-ci se caractérisait par une séparation des tâches constitutives de la réalisation d’une montre, prélude la spécialisation de chaque métier (assemblage, réglage, finition, décoration, etc.). Au contraire, la famille Blancpain milita pour que chaque horloger restât capable de produire de A à Z ses garde-temps, évitant ainsi un appauvrissement des compétences individuelles.
LA FERME BLANCPAIN SEMBLE AVOIR TOUJOURS ÉTÉ LÀ, ADOSSÉE À LA COLLINE, ENTOURÉE DE SAPINS.
UN HORLOGER, UNE MONTRE
La Ferme du Brassus a préservé cette dimension. Aujourd’hui encore, la plupart des horlogers qui y travaillent sont capables de concevoir, assembler et régler eux-mêmes la plupart des garde-temps de la manufacture. C’est particulièrement vrai pour les complications et grandes complications proposées par Blancpain, suivies de A à Z par un seul et unique horloger. Chacun d’entre eux a d’ailleurs son propre coup de main. Ainsi, lorsqu’une pièce revient en révision, les horlogers de la ferme reconnaissent tout de suite lequel d’entre eux l’a suivie depuis ses premières heures – sans même une signature secrète ou visible ! Une manière d’ajuster un composant, de régler un ébat, de faire sonner une répétition minutes, sont autant de marques invisibles que le talent d’un horloger Blancpain dépose malgré lui dans un garde-temps de la manufacture.
UNE SINGULIÈRE COMPLICATION VENUE DE CHINE
Aujourd’hui, Blancpain se distingue toujours par sa capacité à proposer des complications que nulle autre marque n’a. Il en va ainsi du Calendrier Chinois. C’est d’ailleurs une longue tradition de la maison que d’aller à la rencontre de ses clients. Avant même 1800, David- Louis Blancpain ou un membre de sa famille parcourait déjà, au moins une fois l’an, les grandes capitales européennes afin de porter son art horloger au devant de ses clients.
Avec la Calendrier Chinois, Blancpain ne s’est toutefois pas attelée à la plus simple des tâches. Cette complication repose sur des principes établis depuis des millénaires dans la tradition chinoise. Il s’y côtoient l’heure, les minutes et le quantième grégorien avec les indications principales du calendrier chinois: heure-double traditionnelle, jour, mois avec indication des mois intercalaires, signe du zodiaque, ainsi que les 5 éléments et les 10 troncs célestes. La combinaison de ces derniers avec les 12 animaux du zodiaque qui représentent les branches terrestres suit le cycle sexagénaire central à la culture chinoise. Les phases de lune sont aussi présentées et jouent ici un rôle important compte tenu du lien entre cycle lunaire et mois chinois traditionnels.
UNE TOURBILLONNANTE HISTOIRE
Au-delà de ces développements très spécifiques à Blancpain, la Ferme du Brassus est également le théâtre où de belles complications ont revu le jour. C’est le cas du carrousel, complication oubliée pendant plus d’un siècle. Comme le tourbillon, le carrousel vise à réduire les effets de la gravité sur la marche du mouvement. La distinction entre ces deux dispositifs vient d’une différence de construction. En effet, le carrousel est relié au barillet par deux trains de rouage, contrairement au tourbillon qui n’en compte qu’un. Le premier conduit l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’échappement tandis que le second contrôle la vitesse de rotation de la cage. La carrousel a été remis sur le devant de la scène par Blancpain en 2008 avec le premier carrousel volant à effectuer une rotation en une minute. En 2014, la manufacture allait franchir une étape supplémentaire en associant cette complication à une phase de lune, mariant ainsi les deux complications emblématiques de la maison en un seul garde-temps. Bénéficiant des plus récents développements horlogers, la pièce (intégrée à la collection Villeret) est dotée d’un échappement en silicium et d’une réserve de marche de cinq jours.
BÊTE À CORNES
Si l’on évoque des cornes aux abords de la Ferme du Brassus, ce ne sera pas nécessairement pour évoquer les vaches qui y paissent alentours ! En effet, Blancpain y assemble également un ingénieux procédé que l’on trouve sur ses Calendriers Perpétuels : les correcteurs sous cornes. Pour bien comprendre le bénéfice que ces correcteurs apportent, il faut revenir à la fonction première d’un calendrier perpétuel (ou QP) : fournir l’indication juste, sans intervention manuelle, des jours, dates, mois et années, bissextiles comprises, sur des cycles qui peuvent atteindre plusieurs siècles. Ces informations sont données en complément des heures, minutes et secondes et, la plupart du temps, d’une phase de lune. Il y a donc un minimum de huit variables à régler individuellement sur un calendrier perpétuel. Il est presque impossible d’en affecter tous les réglages à la seule couronne sans de complexes et fragiles circonvolutions techniques. Un QP traditionnel comporte donc habituellement de multiples poussoirs qui viennent briser la pureté des lignes d’une boite. On trouve aussi des correcteurs pouvant être actionnés avec un stylet, au risque de perdre ce dernier ou de rayer la carrure lors de son utilisation.
La solution imaginée par Blancpain est d’une infinie ingéniosité. Elle contourne chacun de ces écueils, esthétique comme technique. Toute la difficulté consistait à trouver un endroit où les correcteurs resteraient invisibles tout en étant compatibles avec la complexité mécanique d’un quantième perpétuel. L’idée fut de les placer sous les cornes, afin qu’ils restent à la fois accessibles pour le réglage du calendrier, parfaitement disposés par rapport au mouvement et entièrement hors de vue lorsque la montre est portée. Pour compléter encore cette innovation, les horlogers de Blancpain les ont conçus de sorte à offrir une manipulation aisée, uniquement avec la pointe de l’ongle. Les collectionneurs auront donc dù attendre deux cents ans pour apprécier les lignes épurées de la boite et se libérer d’outils de réglage du quantième.
PLUS
RAYVILLE OR VILLERET ?
Avec le décès de Frédéric-Émile Blancpain en 1932, le nom de la famille disparut. Betty Fiechter, son assistante depuis 1915, racheta l’entreprise en juin 1933 avec son directeur commercial André Léal. Ils la rebaptisèrent Rayville- Blancpain, le premier terme étant une anagramme phonétique de Villeret, village historique de Blancpain. En raison d’une singularité de la loi suisse, comme aucun membre de la famille Blancpain ne restait associé l’entreprise,
les nouveaux propriétaires avaient l’obligation d’en modifier la raison sociale officielle. La parade Rayville-Blancpain fut trouvée pour perpétuer le patronyme fondateur et son ancrage territorial d’origine.