Pay for all your items in 10 instalments up to €5000

Le coup d'épée qui fait mouche

Il y a quelques années, personne n’aurait misé sur les pendules de table. Classées au rang des curiosités d’antiquaires, elles sont pourtant revenues de manière fracassante sur le devant de la scène.

PAR OLIVIER MÜLLER

Designs rétro-futuristes, matériaux modernes, humour décalé, technique et haut niveau de finition ont convaincu des collectionneurs de prestige. Leur appétit pour ces nouveaux jouets est insatiable. Derrière cette spectaculaire renaissance, une manufacture : L’Epée, fondée il y a 180 ans. Découverte d’un phénomène. C’est un petit village du Jura suisse.

 

Son nom : Delémont. Peu connu du grand public, à l’inverse de ses illustres cités suisses voisines comme La Chaux-de-Fonds, Le Locle, Bienne, Saint-Imier ou encore Neuchâtel. Et pour cause, la particularité de Délemont est atypique dans le paysage horloger helvétique, cette « Watch Valley » bien connue des collectionneurs : voici le fief historique des horloges de table.

 

 

HOMME PROVIDENTIEL

 

De prime abord, cet art ancestral, bien antérieur aux montres de poches et de poignet, n’affole pas les collectionneurs de tourbillons et autres quantièmes perpétuels. La donne a pourtant changé en 2014 pour le 175e anniversaire de l’Epée avec la création d’une nouvelle ligne : la « Creative Art Line ». Objectifs : casser les codes, remiser l’horloge d’antan au rang des curiosités poussiéreuses et dessiner une œuvre d’art futuriste qui, accessoirement, donnera l’heure. La "Starfleet", collaboration réalisée entre L’Epée et MB&F, est le premier chapitre d’une collaboration aujourd’hui bien établie. L’objet, délirant, est présenté en 2014. On n’a jamais vu cela : un tripode circulaire aux lignes futuristes, sorte de vaisseau intergalactique dont le corps est constitué d’un mouvement squelette d’une pendule offrant 40 jours de réserve de marche (les longs voyages dans l’espace nécessitent beaucoup de carburant !).

 

Sa double seconde rétrograde se présente sous la forme de canons lasers montés dans des tourelles. D’abord parallèles, les canons mettent 20 secondes à se croiser avant de revenir instantanément à leur position de départ. Leurs extrémités rouges produisent un effet saisissant, tout en servant à repousser les attaques "ennemies" contre le cœur du vaisseau logé juste en dessous : le régulateur, bien en vue pour que l’on puisse l’admirer. Un engin spatial hors norme, inattendu, pour la génération Capitaine Flamme et Goldorak, matinée de Star Wars. Les 175 exemplaires de la Starfleet Machine se sont vendus en quelques jours.

 

 

UN GRAND COUP D’EPÉE

 

Si le design a été insufflé par MB&F, la technique et la réalisation sont l’œuvre de L’Epée. Aujourd’hui, c’est la seule manufacture spécialisée dans la production d’horloges haut de gamme en Suisse. Fondée en 1839 par Auguste L’Epée, dans la région de Besançon en France, elle s’est d’abord concentrée sur la fabrication de boîtes à musique et de composants de montres. La marque était synonyme de pièces entièrement faites à la main.

 

À partir de 1850, la manufacture prend une position de leader dans la production d’échappements. Elle développe des régulateurs spécifiques pour les réveils, horloges de table et montres musicales. Vers 1877, elle produit 24 000 échappements par an, un chiffre colossal pour cette fin de XIXe siècle. Elle acquiert une grande réputation et dépose de nombreux brevets pour la création d’échappements spéciaux, notamment pour ses systèmes anti-rebattement, auto-démarrant et à force constante. L’Epée est alors le principal fournisseur de plusieurs horlogers célèbres. Elle sera récompensée par de nombreuses médailles d’or dans des expositions internationales.

 

Au cours du XXe siècle, L’Epée doit l’essentiel de sa renommée à ses horloges de voyage. Beaucoup associent la marque L’Epée aux personnes influentes et aux hommes de pouvoir. Les membres du gouvernement français offrent volontiers une horloge à leurs invités de marque – une tradition qui traverse encore parfois les usages diplomatiques.

 

La pendule, jumelle de la montre

 

 

Une horloge de table fonctionne, peu ou prou, comme une montre. On y trouve une source d’énergie primaire, le barillet. C’est un ressort tendu à son maximum (par l’action de remontage de la pendule, exactement comme l’on remonte une montre mécanique). Lorsqu’il se détend, il libère une énergie. Elle est transmise, comme dans une montre, à un échappement, par le biais d’un train de rouages. C’est cet échappement, dit « à ancre suisse », qui découpe l’énergie continue en intervalles de base sexagésimale, permettant d’indiquer les 60 secondes, 60 minutes, heures, etc.

Les deux particularités d’une pendule de table, à l’inverse d’une montre, sont bien entendu ses dimensions beaucoup plus grandes, mais aussi ses barillets. Au nombre de cinq, ils assurent 40 jours d’autonomie au mouvement, là où une montre doit en général se contenter de 3 jours.

 

Secrets de fabrictaion

 

 

Si l’on considère schématiquement qu’une pendule est une montre de très grande taille, sa fabrication n’est hélas pas si aisée. Comme l’explique Arnaud Nicolas, CEO de L’Epée : « Doubler la taille des composants ne revient pas à simplement doubler le temps nécessaire aux nitions. La complexité augmente de manière exponentielle.

Pour le polissage, on doit maintenir une pression constante et c’est plus difficile sur de grandes surfaces que sur les petits composants des mouvements de montres-bracelets. C’est grâce à l’expérience et à l’habileté de nos horlogers que la Starfleet Machine peut arborer des finitions aussi raffinées. »

 

Medusa, médusante !

 

 

Pour sa dixième collaboration avec L’Epée 1839, MB&F fait un plongeon dans les mers chaudes, là où les méduses ancestrales prolifèrent. Medusa est une pendule à double configuration : abritée sous une coque de verre de Murano, elle peut être suspendue au plafond ou posée sur un bureau. Son mouvement a requis plus de deux ans de développement. Si les autres créations conjointes disposent de systèmes de remontage et de mise à l’heure indépendants, Medusa impose la réunion des deux car l’accès au mouvement est limité par le dôme en verre, pièce unique souffllée individuellement à la main.

 

 

Concernant l’édition rose en particulier, il a fallu superposer des couches de verre rouge et incolore afin d’obtenir exactement la teinte voulue.

 

L’Epée a approché 40 souffleurs de verre bien établis susceptibles de produire Medusa : quatre ont accepté de tenter de relever le défi , un seul a réussi.

 

DE GAUCHE À DROITE : TROIS VARIATIONS DE MEDUSA, EN VERRE DE MURANO SOUFFLÉ À LA MAIN.

 

 

 

L’HORLOGE ATTITRÉE DU CONCORDE

 

En 1976, quand commencent les vols commerciaux de l’avion supersonique Concorde, L’Epée équipe les cabines d’horloges murales qui donnent l’heure aux passagers. En 1994, elle manifeste son goût pour les défis en construisant la plus grande horloge à pendule du monde, le « Régulateur Géant ». Il mesure 2,20 mètres de haut, pèse 1,2 tonne - à lui seul, le mouvement mécanique pèse 120 kilos - et représente le fruit de 2 800 heures de travail.

 

Sous la direction de son CEO Arnaud Nicolas, L’Epée a développé une collection d’horloges de table exceptionnelle, comprenant une gamme sophistiquée d’horloges de voyage classiques, des modèles contemporains (Le Duel) et des modèles minimalistes d’avant-garde (La Tour). Ses créations intègrent des complications comme les secondes rétrogrades, les indicateurs de réserve de marche, les calendriers perpétuels, les tourbillons et les sonneries — tous conçus et manufacturés à l’interne.

 

 

LES PIEDS SUR TERRE

 

Pour autant, L’Epée n’a jamais délaissé ses clients ancrés dans le quotidien terrestre. Parmi eux, bon nombre apprécient la mécanique « racing ». La Time Fast D8 a été pensée pour eux. Un air de Bugatti, un semblant de Jaguar vintage, cette belle auto horlogère se remonte en roulant en arrière et se règle par son volant, au gré de 239 composants faits sur mesure pour un jouet de près de 5 kilos sur 40 cm.

 

Plus imaginaires, les robots Melchior, Balthazar, Sherman et Grant ferment la marche de ce ballet créatif. Roulants ou marchants, gentils ou méchants, ils incarnent l’enfant qui vit encore en chaque adulte, de ceux qui aiment les beaux jouets, la mécanique, l’originalité. Loin d’un vice rétrograde, ce penchant manifeste au contraire la passion de la création, l’innocence d’un âge d’émerveillement, en même temps que la sauvegarde d’un patrimoine pluri-séculaire aujourd’hui portée par L’Epée.

Whatsapp